The following story is part of SmokeLong Quarterly‘s Global Flash Series. The English translation follows the story in its original language, French.
La vieille dame assise en face de moi dans le bus a les mains croisées sur sa canne. Ses mains sont ridées, les veines saillantes et de nombreuses taches brunes maculent le dos de ses mains et ses poignets. Ensuite, ses bras disparaissent, aspirés par le manteau brun que porte la vieille femme. Je n’arrive pas à détacher mon regard de ces mains. Elles ont l’air à la fois douces et rugueuses. Vestiges d’une époque révolue, ces mains immobiles reposent, croisées, sur la poignée de la canne en T. Elles attendent, tordues, percluses d’arthrose, la peau fripée. Comme des troncs d’arbres malmenés par une vie de tempêtes.
Sur une île, en Méditerranée, j’ai une fois vu des arbres ainsi. Poussant sur un sol rocailleux, en bord de mer. Et les troncs, comme portant les traces du vent qui n’a cessé de malaxer le bois au fur et à mesure que celui-ci poussait, que celui-ci vivait. Les arbres, les racines agrippées dans la rocaille et les troncs tordus pas les vents, des arbres sinueux, sans aucune majesté, sans aucune autre majesté que celle de pousser. Malgré le vent et la roche. L’odeur iodée de la mer se combinant avec l’odeur puissante de la sève des petits pins, qui affleure sous l’écorce et perle par endroits.
Dans les forêts des crêtes du Jura, quand il a plu au printemps, l’odeur est totalement différente. Une odeur de terre humide, d’humus frais. Dans ces forêts, les arbres se serrent les coudes et le sol est riche. Les arbres poussent droit, des troncs rectilignes. Le froid des longs hivers et le soleil qui se fait rare ne tordent pas les troncs. Mais les arbres oscillent en fonction des températures et la forêt n’est pas la même au printemps, en hivers, en été ou en automne. C’est peut-être à l’intérieur que les troncs sont tordus. L’odeur de l’humus est forte, envoutante. C’est l’odeur de la terre qui se forme, l’odeur des végétaux morts qui se décomposent en pourrissant. Des cadavres qui permettront la vie.
Soudain le bus s’arrête et la porte s’ouvre, une bouffée d’air froid déboule à l’intérieur. Charriant des odeurs de la ville. L’odeur du bitume froid et mouillé, des gaz d’échappement. Des odeurs d’huiles minérales, d’hydrocarbures. Des odeurs dans lesquelles on ne peut reconnaître ni vie ni mort. La porte se referme et le bus démarre.
En face de moi, la vieille dame n’a pas bougé. Elle doit avoir 90 ans, peut-être plus. Si j’étais né 90 ans plus tôt, j’aurais peut-être été amoureux de la jeune fille qu’a été la vieille dame. Peut-être nous serions-nous rencontrés dans un bal ou ailleurs. Et si j’étais né avant encore, j’aurais peut-être été le père de la petite fille qu’a également été la vieille dame. Peut-être aurais-je pu arpenter les rues en poussant un landau, radieux, débordant de fierté. La vieille dame enroulée dans des couvertures et dormant dans le landau. Ou son grand-père, à la fois frémissant et serein en entendant mon enfant m’annoncer avoir eu une petite fille. Je pourrais également naître demain et devenir ainsi l’arrière-petit-fils de la vieille dame. Et sentir la caresse de ses vieilles mains sur ma peau encore douce.
J’ai beau savoir qu’ailleurs des personnes se demandent avec sérieux comment construire un mur entre deux pays ou comment gérer les foules hagardes qui débarquent sur les plages d’Europe, j’ai beau savoir que des bombes pleuvent sur des maisons, je ne comprends pas pourquoi l’évidence du présent ne suffit pas.
J’appuie sur le bouton rouge, je descends au prochain arrêt.
*
On the bus
translated by Michelle Bailat-Jones
Seated across from me on the bus is an old woman, her hands crossed over the top of her cane. Her hands are wrinkled, with popping veins and a tapestry of brown spots over the backs and along her wrists. Beyond that, her arms disappear inside the brown coat she’s wearing. I cannot remove my gaze from these hands. They seem both soft and rough. Remnants of a bygone era, these motionless hands rest folded over the handle of her t-shaped cane. They’re waiting, twisted, crippled by arthritis, the skin lined. Like tree trunks distorted by a life lived in stormwinds.
I once saw trees like this on an island in the Mediterranean. Growing out of a rocky soil just beside the sea. And the trunks bore the traces of the winds that had endlessly shaped the wood as it grew, as it lived. These trees, the roots gripping into the rockwork and the trunks twisted by the winds, sinuous trees, without a trace of majesty, without a trace of anything majestic but their growth. Despite the wind and the rocks. The salty smell of the sea combined with the strong scent of the sap running beneath the bark of the pine trees, beaded in places along the surface.
In the forests upon the peaks of the Jura, after a springtime rain, the smell is completely different. A smell of wet earth, of fresh soil. In these forests, the trees are packed in together and the soil is rich. The trees grow toward the sky in straight lines. The cold of the long winters and the rarely-seen sun do not twist these trunks. But the trees are changed by the temperatures and the forest is not the same in the spring, in the winter, in the summer, or in the autumn. Maybe these trunks are twisted on the inside. The smell of the soil is strong, bewitching. It is the smell of a forming earth, the smell of vegetation decomposing and rotting away. Cadavers which give birth to life.
Suddenly the bus stops and the door opens, a burst of cold air rolls inside. Bringing with it the smells of the city. The smell of cold, wet concrete, of exhaust. Smells of oil and gasoline. Smells in which there is no life nor death. The door closes again and the bus moves.
Across from me the old woman has not moved. She must be about 90 years old, maybe even older. If I were born 90 years earlier, maybe I would have been in love with the young woman that this old woman once was. Maybe we would have met at a dance or somewhere else. And if I had been born before that, maybe I would have been the father of the little girl this old woman also once was. Maybe I would have walked through the streets pushing a stroller, radiant, overflowing with pride. The old woman wrapped inside blankets and sleeping in the stroller. Or her grandfather, both trembling and calm upon hearing my child tell me he had just had a little girl. I might also be born tomorrow and then become the great grandson of the old woman. And feel her old hands caress my still-soft skin.
While I know that elsewhere people genuinely wonder how to build a wall between two countries or how to manage the haggard crowds washing up on Europe’s shores, I don’t understand why the realities of the present are not enough.
I press on the red button, I get off at the next stop.
Notes from Guest Reader Michelle Bailat-Jones
I found the telescoping and juxtapositions in this short piece were really touching. Human connections, bewilderment, awe.